Tuer l'euro serait idiot
Lancée par un ministre italien pour des motifs de politique intérieure, l'idée de sortir de l'euro a rapidement fait le tour d'Europe. Si les politiques se sont abstenus de la reprendre, économistes de marché et éditorialistes l'ont commentée ou reprise à leur compte.
Personne, aujourd'hui, ne pense sérieusement réintroduire les monnaies nationales. Mais le rôle des provocations est toujours le même : briser un tabou, défricher le long chemin qui mène à l'acclimatation d'une idée malséante. D'un point de vue économique, le projet n'a guère de sens. Certes, les dirigeants de la Péninsule auraient la vie plus facile s'ils pouvaient chasser temporairement les problèmes en dévaluant comme au bon vieux temps.
Mais la dette publique italienne est, comme la française ou l'allemande, irréversiblement libellée en euros. Comme elle dépasse 100% du PIB, une réintroduction de la lire accompagnée d'une baisse de 10% de sa valeur impliquerait immédiatement une hausse d'un point de PIB de la charge d'intérêt de la dette. Pour éviter de supporter ce coût, il faudrait opérer une conversion forcée. Avant même que l'idée soit articulée, cependant, les détenteurs d'obligations italiennes auraient tôt fait de faire monter les taux en demandant une prime de risque. Au total, un gouvernement qui entreprendrait d'allumer la mèche aurait toute chance de se brûler les doigts. Les seuls pays qui pourraient envisager de quitter l'euro sont paradoxalement ceux qui vont bien, comme l'Irlande ou la Finlande.
Pourquoi ce débat, alors ? C'est d'abord une conséquence directe du referendum. Au moment des négociations sur l'euro, Helmut Kohl avait plaidé pour l'union politique. Son raisonnement était qu'une monnaie partagée perdure si elle symbolise une volonté de vivre ensemble, et donc si les peuples participants la tiennent pour un bien commun qui apporte des bénéfices, mais peut exiger des sacrifices. Il n'avait pas eu gain de cause.
Mais l'union politique était restée en projet et la constitution voulait lui donner un début de réalité. C'est pourquoi le choc du non a réveillé le débat sur l'euro. L'autre raison est évidemment la médiocre performance économique de la zone euro. De la monnaie unique, les Européens attendaient qu'elle les rende plus forts. Or depuis 2001 la zone euro est à la traîne : sa croissance dépasse à peine 1% contre plus de 2% au Royaume-Uni. Certes, il est un peu facile d'accuser l'euro ou la Banque centrale européenne : la réussite économique tient au moins autant aux politiques des Etats. Le cas de l'Italie est net : si l'économie va (très) mal, c'est d'abord parce qu'elle ne s'est pas modernisée et que Silvio Berlusconi n'a rien fait pour y remédier. Il n'empêche : l'euro souffre d'être la monnaie des hommes malades de l'Europe.
Plus qu'une vraie controverse, le débat sur l'euro est donc le symptôme de nos difficultés politiques et économiques. Il nous rappelle que l'Europe est une construction fragile et que ses dirigeants auraient tort d'espérer pouvoir se réfugier dans le maintien du statu quo.