M. Hollande, ce n’est pas le moment d’être normal
En s’engageant fin 2011 sur le thème de la croissance et en annonçant son intention de renégocier le traité budgétaire, François Hollande courait le danger d’être marginalisé dans une Europe qui attendait son salut de l’austérité. Six mois plus tard, il recueille les fruits de sa prise de risque : alors qu’elle est entrée en récession et que, sur son flanc sud, se multiplient les signes d’exaspération sociale, l’Union européenne se prépare à saisir l’occasion de rééquilibrer ses priorités.
Une grande ambiguïté règne cependant, car des orientations très diverses se retrouvent sous le même étendard de la croissance. Dans ces conditions, François Hollande a le choix entre deux stratégies. La première est de se satisfaire peu ou prou des fruits qu’on va lui tendre et de déclarer victoire, pour pouvoir signer le traité budgétaire. Ces fruits, ce sont la création de project bonds associant implication publique et capitaux privés afin de rendre attractives des obligations trop risquées pour trouver aisément preneur sur le marché ; une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI), actuellement menacée de perdre son AAA, pour lui permettre, au moins, de maintenir son volume de prêts ; un meilleur usage des fonds structurels européens, qui répondent trop souvent à une logique d’abonnement et mériteraient d’être mis au service du redressement économique ; ou encore des initiatives ciblées financées sur le budget communautaire.
Tout cela mérite attention. Mais il faut raison garder: l’Europe est déjà le continent le mieux doté en infrastructures ; elle sort à peine d’une bulle solaire induite par des subventions trop généreuses au regard de l’état de la technologie ; les fonds structurels ne pèsent macro-économiquement que dans quelques pays ; et, de toutes façons, quelques dizaines de milliards de nouveaux projets ne suffiront pas à redresser une économie dont le PIB est de 12.600 milliards d’euros.
L’autre stratégie est plus ambitieuse. Elle consiste pour le nouveau président à investir son capital politique dans une négociation de fond sur la solution aux problèmes systémiques et macroéconomiques qui menacent la prospérité et, à terme, la survie même de la zone euro.
Les problèmes systémiques tiennent à la fragilité d’une union monétaire incomplète en voie de désintégration financière sous l’effet de l’arrêt des flux de capitaux Nord-Sud et de la pression exercée sur les banques par les régulateurs nationaux. Une zone euro assise sur un marché des capitaux fragmenté perdrait beaucoup de sa raison d’être, c’est pourtant dans cette direction qu’elle continuera sans doute à se diriger si l’Europe n’engage pas la construction d’une union bancaire mettant en commun assurance des dépôts, supervision et mécanismes de résolution des crises bancaires, et ne réfléchit pas à des formes de mutualisation des dettes souveraines.
Les problèmes macroéconomiques tiennent à la difficulté d’un rééquilibrage Nord-Sud après dix ans de dégradation de la compétitivité relative du Sud. Ce rééquilibrage passe inévitablement par des ajustements douloureux, dont l’austérité budgétaire est une composante, mais il ne peut se résumer à une série d’efforts sans contrepartie de la part des pays en difficulté. Il revêt aussi une dimension collective : demander au Sud de regagner la compétitivité par la déflation serait l’emprisonner dans le double carcan de la dette publique et de la dette privée, et donc augmenter considérablement les risques d’échec. La solution passe, plutôt, par un meilleur dosage des efforts budgétaires et une hausse des salaires au Nord. Avec 2% d’inflation moyenne dans la zone il faut, pour les années à venir, nettement moins de hausse des prix au Sud et nettement plus au Nord. Il importe donc de convaincre le Nord, qui commence d’ailleurs à en prendre conscience, d’accepter cet écart, et de s’engager à ne pas tenter de contenir sa propre inflation tant que la stabilité des prix restera assurée en moyenne dans la zone euro.
Cette seconde stratégie est d’une toute autre ampleur que la première, elle comporte des risques, et elle est consommatrice de capital politique. Une union bancaire ou la mutualisation des dettes, avec ses inévitables contreparties budgétaires, impliqueraient un engagement européen politiquement coûteux au vu du premier tour. Et la France ne peut demander des efforts à l’Allemagne sans être prête à en faire elle-même, tant en matière de gestion des finances publiques que de réformes de compétitivité.
Pour un dirigeant politique normalement constitué la tentation doit être forte d’adopter la première stratégie, et de déclarer victoire à peu de frais avant de passer à autre chose. Dès avant la brutale aggravation de la crise politique grecque, cette réponse n’était déjà qu’un faux-semblant. La choisir au moment où menace la rechute serait accepter le danger d’un éclatement de la zone euro d’ici la fin du quinquennat.
Désolé M. Hollande, ce n’est pas le moment d’être normal.
A version of this column was also published in Le Monde