A New Purpose for Public Action
Director Jean Pisani-Ferry writes about the state of capitalism in the French daily Le Monde. He argues that the two current crises - the financial crisis and the climate change problem - have created a new role for public action: not to throw away capitalism and replace it with nationalisation or a planned economy, but to drive private actors to fundamentally modify their behavior.
Selon un récent sondage effectué pour le groupe britannique de médias BBC, 43 % des Français tiennent le capitalisme pour fondamentalement déficient et veulent lui substituer un autre système économique. Cette aspiration est partagée par un à peu près un tiers des sondés en Italie, en Espagne, au Brésil et au Mexique, et globalement par environ un quart de l'opinion mondiale. Il ne s'agit toutefois pas d'une nostalgie des lendemains qui chantent : les trois quarts des Européens (Russie et Ukraine exceptées) disent en effet que la chute de l'Union soviétique a été une bonne chose. Mais pour une part importante d'entre eux, répondre à la crise, c'est changer de régime de croissance.
Rhétorique mise à part, telle n'est évidemment pas la finalité des efforts du G20 qui visent à faire repartir la croissance mondiale, à contenir les déséquilibres macroéconomiques et à rendre la finance plus sûre. Ce sont trois objectifs importants et légitimes, mais ils ne constituent pas une transformation radicale.
S'il en est ainsi, c'est sans doute que l'ardeur réformatrice des dirigeants de la planète reste limitée. Mais aussi que les idées manquent. Pour qu'adviennent des transformations, il ne suffit pas que le Vieux Monde soit en crise, il faut également que le Nouveau soit en germe. Le régime de croissance en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale, que l'économiste américain Dani Rodrik a appelé "capitalisme 2.0", est sorti de vingt années de convulsions, mais aussi d'intenses réflexions sur le monde d'après. Après deux décennies de croyance en la fin de l'histoire économique, les contours du "capitalisme 3.0" sont encore dans les limbes - a fortiori ceux d'un nouveau système "1.0".
La coïncidence entre crise financière et crise climatique offre cependant des pistes. Car l'échec du fondamentalisme du marché rouvre le jeu. Pour paraphraser l'économiste et philosophe des Lumières Adam Smith (1723-1790), il n'est plus possible de dire que c'est du soin que le banquier et le pétrolier apportent à leurs propres intérêts que nous attendons notre bien-être. C'en est fini de l'irrecevabilité, par principe, des interventions de la collectivité organisée. Cela ne garantit évidemment rien, mais cela rend beaucoup de choses possibles.
Plus précisément, les deux crises témoignent, l'une et l'autre, d'une sous-estimation des risques extrêmes ou lointains dans le système des prix, et appellent l'action publique à remédier à cette défaillance. C'est pour celle-ci une nouvelle finalité : non pas se substituer aux entreprises (comme avec les nationalisations) ou au marché (comme avec la planification), ni retoucher, en fonction de ce qui est constaté, la répartition du revenu (comme avec la social-démocratie), mais créer un cadre d'incitations qui conduiront les acteurs privés à modifier fondamentalement leurs comportements.
C'est évidemment difficile - en témoignent les hésitations sur les ratios prudentiels de capital à exiger des banques, ou encore sur la taxe carbone. Et pas seulement parce que l'efficacité commande que l'action soit globale. Mais ce qui s'esquisse n'est rien moins qu'une redéfinition Ã
large échelle des finalités et des moyens de l'action publique et de l'équilibre entre intérêt collectif et intérêts privés.
Enfin, le traumatisme de la finance induira peut-être sa réorientation vers sa fonction première : relier les comportements d'aujourd'hui et les choix de demain. Pour contenir le changement climatique, il va falloir à la fois investir massivement sur la base des technologies d'aujourd'hui - bien qu'elles soient souvent assez peu efficaces - et stimuler la recherche sur celles qui pourront les remplacer demain. Or, des Etats appauvris par la crise n'ont plus les moyens de se lancer dans de vastes programmes de dépenses, et c'est donc largement de la capacité à mobiliser l'épargne privée que va dépendre le succès de cette entreprise. La finance, on l'a assez dit, a capté une part exagérée des ressources et des talents. Plutôt que de la bannir, rien n'est plus urgent que de les mettre désormais au service de finalités renouvelées.
Jean Pisani-Ferry est économiste et directeur de Bruegel, centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe.
Courriel : [email protected]