Wirtschaftsregierung, mode dÂ’'emploi
In this column Bruegel Director Jean Pisani-Ferry writes about European economic governance. Pisani-Ferry points out that the Greek crisis has highlighted the need to reinforce prevention and monitoring systems as well as to develop effective crisis management mechanisms. He concedes that the creation of the Euro had some mistakes, which were probably inevitable; however he emphasizes the need to learn from experience and to start proposing feasible solutions in the current European frame.
La zone euro a passé, mieux qu’on aurait pu le craindre, l’épreuve de la crise financière. Avec la crise grecque et la contagion qui menace, elle en affronte maintenant une seconde, à certains égards plus redoutable.
La crise grecque a tous les traits d’une tragédie annoncée : un pays, méditerranéen, qui ment sur l’état de ses finances, pour finir par révéler, au pire moment, l’ampleur du désastre ; des marchés qui, de bonne foi ou non, spéculent sur sa faillite ; et des dirigeants européens qui, pour calmer le jeu, assurent qu’ils sauront être solidaires – comprenez payer. C’est exactement le scénario noir que les opposants allemands à l’euro avaient dessiné, exactement celui que le traité de Maastricht devait rendre impossible.
Pour en arriver là , il a fallu une bonne dose d’aveuglement collectif. Sur les finances grecques d’abord : depuis dix ans, l’écart moyen entre le déficit budgétaire réel et le chiffre notifié à la Commission européenne a été de 3,3% du PIB. Qu’une fraude aussi massive ait pu se perpétuer aussi longtemps sans que l’Union déclenche une procédure d’audit souligne à quel degré d’aberration peut conduire le souci de non-ingérence dans la gestion des partenaires.
Mais l’aveuglement quant aux risques a été lui aussi flagrant. Au nom de l’idée qu’envisager une gestion des crises aurait incité à l’imprudence, aucun dispositif d’assistance à un Etat de la zone euro en difficulté de financement n’a été envisagé. La prévention était si élaborée, disait-on, que la crise serait impossible. Au cas où elle surviendrait néanmoins, la faillite serait la meilleure solution. Mais les engagements martiaux faiblissent face aux risques de contagion, et la faillite sèche n’est pas crédible parce que la Grèce reste membre du FMI et peut à tout moment requérir son assistance. En dépit des préventions allemandes, si les Européens, comme ils le proclament, ne veulent pas du Fonds, ils devront bien, le cas échéant, se substituer à lui, et prêter à la Grèce, en contrepartie d’un programme d’ajustement budgétaire. Ils espèrent encore qu’Athènes se soumettra à ce qu’il faut bien appeler un programme FMI sans contrepartie, mais chacun a compris qu’ils risquent d’être bientôt contraints à improviser ce qu’ils s’étaient refusés à prévoir.
La crise espagnole est d’une nature toute différente, mais témoigne elle aussi d’un aveuglement. En 2007 l’excédent budgétaire atteignait 2 points de PIB et le pays jouait les parangons de vertu. C’est de la sphère privée qu’est venue l’instabilité, avec une bulle immobilière alimentée par la faiblesse des taux d’intérêts réels. Des débuts de l’euro jusqu’à 2007 la croissance a été tirée par la consommation et l’investissement résidentiel, qui est passé de moins de 5% du PIB à près de 10%, si bien que le déficit extérieur a atteint 10% du PIB. L’éclatement de la bulle a révélé une économie insuffisamment compétitive et centrée sur des secteurs à faible productivité, dont l’ajustement sera long et douloureux.
La faute ici n’a pas été un défaut de vigilance statistique, mais l’hypothèse erronée que la sphère privée est naturellement stable, si bien que la surveillance des déficits publics suffit à contrôler les problèmes potentiels. Hypothèse grossièrement fausse, mais qui a des années durant servi d’argument pour rejeter toute discussion européenne sur les fragilités du modèle de croissance espagnol : puisque le budget est en excédent, disait-on, rien – sauf la jalousie face au succès – ne justifie l’inquiétude.
Défaillance de la surveillance budgétaire, insuffisances de la discussion économique, absence de mécanisme de gestion des crises : le bilan, sévère, justifie un réexamen des modalités de fonctionnement de la zone euro. Ce ne sera pas facile, car le pénible processus de ratification du traité de Lisbonne a montré combien la volonté d’approfondir l’intégration européenne fait aujourd’hui défaut. Le scenario favori des fédéralistes, selon lequel chaque crise crée l’opportunité d’aller plus loin, a donc peu de chances de se réaliser.
A défaut de changer le traité, il faudra au moins changer sa pratique, et s’attaquer aux déficiences de la gouvernance économique. Il est possible de faire beaucoup dans la cadre actuel, au moins en ce qui concerne la prévention. Il ne faut pas tarder à ouvrir le chantier. Car s’il était probablement inévitable de faire des erreurs dans la conception de l’euro, il serait surtout grave de ne pas apprendre de l’expérience. En parlant, pour la première fois, de Wirtschaftsregierung (gouvernement économique), c’est peut-être ce qu’a voulu dire Mme Merkel.
Jean Pisani-Ferry est économiste et directeur de Bruegel, centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe. Courriel : chronique[at]pisani-ferry.net
This article was also published in the French newspaper Le Monde and the Chinese Century Weekly.