Merkel et Hollande doivent se projeter dans l'avenir et développer un projet qui fasse sens
ParisBerlin
Jean Pisani-Ferry, directeur de l’institut Bruegel, Bruxelles/Janvier 13
ITW réalisée par Henri de Bresson/ParisBerlin
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L‘Allemagne a commencé à reformer il y a dix ans sous les sociaux-démocrates. En France même la droite qui avait promis de réformer ne l’a pas fait vraiment. Sur quoi repose ce décalage?
Sans négliger les responsabilités politiques, je mettrais d’abord l’accent sur les sociétés. EnAllemagne et en France, les sociétés civiles, les partenaires sociaux, ont vécu les 20 dernières annéesde manière très différente. Le choc de la réunification a été un choc soudain, compliqué à gérermais profondément positif pour l’Allemagne. La mondialisation a créé de nouvelles concurrencesmais aussi renforcé sa vocation exportatrice. La France a reconnu les nouvelles potentialités quecréaient la chute du mur et le bouleversement du paysage mondial, mais elle les a vécus commeune mise en cause de son statut. Il y a en France une nostalgie qu’on ne trouve pas en Allemagne,ni évidemment en Europe centrale, ni en Espagne. Pour en revenir aux réformes, ce qui m’a frappédans le processus allemand c’est non seulement ce qu’a fait le chancelier Schröder mais aussi quetout cela a démarré dès la fin des années 90, dans les entreprises, par un effort pour redresser lacompétitivité, réinventer le modèle productif. Cela s’est fait d’abord entre les employeurs et lessalariés puis a été accompagné, amplifié par les politiques publiques.
A contrecourant?
A l’époque le modèle allemand est profondément mis en cause. Il faut se rappeler qu’en 1998, à laveille de l’euro, la France est en excédent extérieur, l’Allemagne en déficit. Elle était déstabiliséepar les conséquences de la réunification, la hausse des coûts que celle-ci avait entraînée, avec pourrésultat une économie sous-compétitive et qui voyait là dessus arriver la concurrence des paysasiatiques, de l’Europe centrale. C’est tout le débat sur le Standort Deutschland qui s’est développédans les années 90. Depuis, l’Allemagne a complètement réinventé son modèle productif. Lesentreprises ont joué la segmentation de la chaine de valeur et la délocalisation des segmentsintensifs en travail peu qualifié, ce qui s’est traduit par un bond simultané des exportations et desimportations. L’Allemagne a ainsi réinventé son modèle productif. La France, non. La peur desdélocalisations a figé la structure productive, les grandes entreprises ont fait semblant de préserverl’existant, tout en réalisant de plus en plus d’investissements en dehors du territoire. Bien des usinessont devenues des Villages Potemkine. Jusqu’à ce que cette façade craque, à l’occasion de la granderécession. La France paye la pusillanimité des politiques publiques, mais aussi l’incapacité des acteurs sociaux à se saisir à temps du défi.
Même quand on s’aperçoit qu’il faut changer, la France n’y parvient pas?
Sarkozy avait été élu sur un mandat de réformes. Les sondages, au moment de son électionindiquaient que c’est ce qui était attendu de lui, y compris par des gens qui avaient voté contre lui.Il y a eu des réformes importantes pendant son quinquennat – l’autonomie des universités, uneréforme partielle des retraites, par exemple - mais pas à la mesure de ce qu’a fait Schröder. Sarkozya commis l’erreur classique de commencer par des mesures qui divisent – dans son cas les mesures1fiscales de l’été 2007 - au lieu de construire un consensus en s’appuyant sur la légitimité que leurdonne l’élection. Diviser est dangereux car il y a un doute profond dans la société française sur larépartition des bénéfices des réformes. La grille de lecture est toujours d’abord « qui en profite ? ».La méfiance s’installe donc facilement, et avec elle l’idée que la réforme est une manière deredistribuer la pénurie plutôt que de créer de la prospérité. Il est vrai d’ailleurs qu’en Allemagne, lesinégalités se sont davantage creusées qu’en France, où l’on a protégé le bas de l’échelle des revenus.Paradoxalement, les mesures fiscales de Hollande, qui sont dures pour les riches, créent sans douteune base favorable à la réforme. L’accord patronat-syndicats sur la réforme du marché du travailconclu à la mi-janvier est une étape importante.
La perception allemande aujourd’hui est que la France n’est pas sûre de pouvoir se ressaisir, de lefaire à temps. Qu’est ce vous répondez?
La perception allemande est que l’économie française a glissé vers le sud. Qu’elle fait peut-être déjà partie du sud. Certains articles récemment ont soutenu que contrairement à l’Espagne, à l’Italie,au Portugal, les Français ne prenaient pas la mesure de leurs difficultés et ne faisaient pas ce qu’ilfallait. Cette perception...
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