La voie étroite de l’intelligence budgétaire
Le débat sur l’austérité budgétaire a repris en Europe. Ce n’est pas étonnant.
Le débat sur l’austérité budgétaire a repris en Europe. Ce n’est pas étonnant. Depuis 2010, celle-ci s’est attachée à redresser les finances publiques, au prix d’efforts importants : trois points et demi de PIB en trois ans dans la zone euro, un peu plus de trois en France, plus de quatre au Royaume-Uni, sept au Portugal, douze en Grèce. Mais parallèlement la reprise a marqué le pas : en zone euro, 2013 sera la deuxième année consécutive de croissance négative. Le FMI parle maintenant de reprise à trois vitesses pour souligner que le groupe des pays avancés s’est coupé en deux avec, d’un côté, les Etats-Unis où la reprise est solidement établie, et de l’autre l’Europe qui est à la traîne.
Entre consolidation budgétaire et panne de croissance, y a-t-il lien de cause à effet ? Sans que l’un soit la seule raison de l’autre, on ne peut le nier. D’autant que deux erreurs ont été commises. L’UE, d’abord, a voulu croire que son premier problème était budgétaire, oubliant au passage que le mauvais état de ses systèmes bancaires et l’excès de dette privée dont souffrent plusieurs pays. Ces handicaps ont empêché la demande privée de prendre le relais de la demande publique. Avec des taux d’intérêt de la BCE bloqués au voisinage de zéro, les conséquences économiques des politiques de rigueur soient particulièrement marquées.
La deuxième erreur a été de vouloir répondre à la hausse des taux sur les marchés obligataires en fixant des objectifs budgétaires nominaux (ramener le déficit à X% du PIB à la date T) plutôt que structurels (réduire les dépenses ou augmenter les recettes de Y points de PIB par an). L’Europe s’est ainsi mise à la merci d’une logique d’amplification des cycles qui contraint à d’autant plus d’efforts que la situation est mauvaise. La Commission s’efforce d’y échapper en accordant des délais aux pays qui étaient à la peine, mais trop tard et comme à contrecœur.
Les Etats-Unis, quant à eux, ont réparé leur système bancaire dès 2009 et ont donné aux ménages le temps de se désendetter (y compris par des faillites personnelles). La Fed a vigoureusement soutenu la demande. Et, jusqu’à la fin 2012, l’ajustement budgétaire a été graduel. Le choc est venu en 2013, avec les coupes automatiques de dépenses, mais entre-temps l’économie privée avait gagné en vigueur. Cette stratégie a donné de meilleurs résultats.
Qu’en déduire pour l’avenir ? Sauf à envisager une répudiation de la dette ou la sortie de l’euro, l’une et l’autre bien plus coûteuses, certainement pas qu’il faut jeter le sérieux budgétaire à la rivière. La question n’est pas de savoir s’il faut réduire les ratios de dette publique, mais quand et comment. Avec ou sans Reinhart et Rogoff, il demeure qu’il est dangereux de laisser la dette publique avoisiner 100% du PIB. Or huit pays de la zone euro seront dans cette zone fin 2013.
La bonne stratégie consiste à conduire la consolidation budgétaire graduellement mais avec persistance, en veillant à la qualité des mesures tout autant qu’à leur quantité. Les gouvernements craignent cependant qu’en procédant ainsi, ils suscitent la méfiance des marchés et que leurs coûts d’emprunt s’en ressentent. Parce qu’ils n’ont pas confiance en leurs partenaires, beaucoup en Europe du Nord continuent aussi à faire des objectifs nominaux l’alpha et l’oméga de la stratégie budgétaire. Dans les deux cas le problème est le même : retarder une partie de l’ajustement pour préserver la croissance, n’est-ce pas en fait le repousser aux calendes grecques. N’est-ce pas s’avouer incapable d’affronter les choix qu’exige une maîtrise durable des finances publiques ?
La solution consiste à crédibiliser l’engagement de réduction du déficit Pour cela il faut fonder ses calculs sur des prévisions prudentes ; décider dès aujourd’hui des mesures qui s’appliqueront demain, ou du moins avancer suffisamment dans leur préparation éclairer l’horizon ; identifier les gisements d’efficacité dans la sphère publique ; programmer la fin des politiques dont le rapport coût-bénéfice est trop élevé ; mettre en place les mesures propres à équilibrer les régimes de retraite sur plusieurs décennies ; fixer pour l’assurance-maladie et le chômage des règles d’équilibre sur le cycle ; donner, enfin, les grandes lignes des réformes fiscales qui apporteront de la ressource sans décourager l’activité. Rien de tout cela n’empêchera, évidemment, un parlement de voter demain en sens contraire ; mais cela le rendra moins probable.
Au niveau européen, les programmes de stabilité que les gouvernements adressent chaque année à Bruxelles devraient servir de support à un dialogue sur ces mesures à venir et à certifier les engagements nationaux. Au lieu de limiter les marges de manœuvre immédiates, ils devraient servir à les élargir en rassurant sur le fait que la consolidation budgétaire aura bien lieu.
La logique est imparable : plus on se lie les mains pour demain, plus on gagne des marges de liberté pour aujourd’hui. C’est cela qu’il faut faire.
This article was first published in le Monde.