La politique en berne
Dans tous les pays européens en difficulté, les partis traditionnels ont été incapables de structurer un débat sur les réponses à la crise. En Grèce, la politique est mise entre parenthèses le temps de négociations financières vitales pour l'avenir du pays. En Italie, Mario Monti et son gouvernement de technocrates se sont substitués à une gauche inaudible pour offrir une alternative à Silvio Berlusconi. En Espagne, la droite de Mariano Rajoy a brillamment gagné en prenant bien soin de ne rien dire sur rien. Au Portugal, celle de Passos Coelho l'a emporté en promettant d'appliquer avec plus de conviction les mêmes mesures que le socialiste Socrates. Partout la politique est en berne, comme si les temps étaient trop durs pour elle.
Le phénomène n'est pas universel. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le clivage traditionnel est plus pertinent que jamais, notamment autour du rôle de l'Etat. Mais en zone euro, et notamment en France, l'interrogation demeure : droite et gauche sont-elles encore capables d'offrir un choix ? Un ouvrage récent du Cercle des économistes (Droite contre gauche ?, sous la direction de Jean-Hervé Lorenzi et Olivier Pastré, Fayard, 19 ¤) aide à tracer les contours de ce que devrait être un débat présidentiel éclairant.
Commençons par les sujets qui ne relèvent pas de la décision nationale et sur lesquels, faute de pouvoir se différencier, les partis de gouvernement sont voués à subir les attaques des " forces antisystème " : la monnaie, les normes de finances publiques, la politique commerciale, la concurrence, la réglementation financière, pour ne citer que les principaux. Cela fait beaucoup. Se sachant impuissants, les candidats à la présidentielle sont tentés par des postures qui ne font qu'affaiblir leur crédibilité. La seule réponse est de faire émerger un débat politique structuré au niveau communautaire. Il serait temps que les candidats comprennent qu'ils doivent aussi investir ce terrain et que le maintien des partis européens à l'état d'ectoplasmes n'est pas dans leur propre intérêt. Cela s'applique particulièrement aux réponses à la crise de la zone euro, dont il importe de savoir si elles doivent privilégier la pénitence ou la croissance, la mutualisation des dettes ou la renationalisation des disciplines économiques.
Vient ensuite le domaine des choix contraints, à commencer par la politique budgétaire. Sous la pression des marchés et avec le durcissement des règles européennes, gauche et droite doivent viser une élimination du déficit sur la prochaine législature. Cela n'implique cependant pas la même politique : rythme et modalités du redressement, répartition des efforts entre prélèvements et baisses des dépenses, sélection des dépenses à sacrifier, répartition de l'ajustement entre les niveaux d'administration constituent autant de terrains potentiels de différentiation, sans compter la méthode retenue pour opérer. Aux politiques de s'en saisir et d'offrir un choix construit entre rigueur de droite et rigueur de gauche.
Il en va de même d'un autre clivage traditionnel, la répartition capital-travail. Les grands groupes internationalisés du CAC 40 se portent bien, mais la rentabilité de l'investissement sur le territoire national est trop faible pour permettre un redressement des exportations et de l'emploi industriel. La prochaine équipe devra oeuvrer à la profitabilité des entreprises. Reste le choix des moyens - politique fiscale ou salariale, intervention ciblée ou horizontale, encouragement à la montée en gamme ou soutien à l'emploi peu qualifié. Pour autant qu'on ne s'en tienne pas aux vieilles lunes, il y a là matière à de vrais débats.
Subsistent enfin des terrains de figures libres. Dans un contexte de creusement global des inégalités entre le 1 % supérieur et les 99 % restants, le plus marquant est sans conteste celui de la fiscalité des personnes. Cela fait bien longtemps que la France n'a pas connu un débat fiscal d'ampleur, et il serait bienvenu que la prochaine élection lui réserve une place centrale.
Au-delà , bien d'autres questions comme le marché du travail, la jeunesse, l'éducation ou l'énergie se prêtent à franche différenciation. Pour peu que François Hollande et Nicolas Sarkozy le veuillent, ils peuvent donc offrir aux citoyens le choix entre deux lectures de la situation, et deux ensembles de solutions. François Bayrou et Eva Joly peuvent également proposer les leurs. Le vrai risque pour la démocratie n'est pas que la situation fixe des contraintes. Il est que les candidats se gardent d'une expression claire de peur de réveiller des divisions au sein de leur propre camp. Si, par souci tactique, l'ambiguïté devait prévaloir, alors oui, on pourrait dire que la politique a été mise en berne pendant l'élection. Les Français méritent mieux.
A version of this op-ed was also published in Le Monde.