How to insure the crisis
Two years since the financial crisis, Bruegel Director Jean Pisani-Ferry analyses the cost of the crisis and looks at how economic reform will come at a cost and how best to prepare for this.
Deux ans ont passé depuis le déchaînement de la crise financière, et nous avons à peine commencé d’en mesurer les conséquences. Andrew Haldane, de la Banque d’Angleterre, a récemment estimé que la valeur actualisée de toutes les pertes de production présentes et futures approcherait sans doute une année de PIB mondial : 60.000 milliards de dollars, autant que cinq siècles d’aide publique au développement ou dix milliards de fois le coût de construction d’une salle de classe dans un village africain.
La question centrale de la réforme financière est de savoir comment réduire la fréquence de tels cataclysmes, et à quel coût. Car si certaines réformes ne coûtent rien, d’autres ont inévitablement un prix économique. C’est le cas de la réglementation des ratios de capital des banques, qui fait actuellement l’objet de vives discussions. L’idée est de rendre les banques mieux aptes à subir des pertes sur leurs créances en les obligeant à accroître leurs fonds propres et à moins se financer par l’endettement. A quoi les banques répondent que cela rendra le crédit plus cher, et affaiblira l’économie.
Supposons, hypothèse raisonnable, que les crises financières interviennent tous les cinquante ans. Pour éviter de perdre une année de production tous les demi-siècles, il serait rationnel de payer une prime d’assurance, pourvu que celle-ci s’élève à moins de 100/50 = 2 points de PIB par an (voire un peu plus si l’on valorise la stabilité). Le Comité de Bâle qui coordonne la réglementation bancaire a récemment calculé qu’une hausse d’un point du ratio entre le capital des banques et le montant de leurs actifs à risque augmenterait le taux des crédits de 0,13 points, mais en contrepartie réduirait d’un tiers la fréquence des crises. Concrètement, le prix à payer pour que les crises surviennent tous les soixante-quinze ans au lieu de tous les cinquante ans serait que le taux d’un crédit immobilier passe de 4% à 4,13%.
Un tel coût est évidemment ridiculement faible, bien plus bas que celui que nous acceptons de payer en matière de sécurité industrielle ou environnementale, et surtout considérablement inférieur aux 2 points de PIB par an qu’il serait rationnel de payer. Il semble donc n’y avoir aucune raison d’hésiter à agir.
Ce raisonnement, cependant, néglige les coûts de la transition vers un nouvel équilibre plus stable. Si on leur impose aujourd’hui d’accroître le rapport entre leur capital et leurs créances les banques vont devoir quelques années durant prêter moins, ou plus cher, et par là freiner une reprise déjà incertaine. C’est sur ce point que la polémique fait rage entre les banques, qui annoncent des effets récessifs marqués, et les banquiers centraux, pour qui les nouvelles règles n’auront qu’un impact « modeste ».
Les régulateurs sont devant un choix difficile. S’ils ne font rien, ou repoussent la décision, ils risquent demain d’être trop faibles pour imposer leur volonté aux banques. Mais s’ils décident sans attendre un durcissement des règles, ils risquent d’ajouter un choc réglementaire au choc budgétaire qui s’annonce, alors même que la croissance est encore freinée par la volonté de désendettement des entreprises et des ménages. Même les évaluations du Comité de Bâle, à dessein rassurantes, font réfléchir : sauf à supposer une improbable réponse de la politique monétaire, chaque point d’augmentation du ratio de capital pourrait coûter un tiers de point de PIB à horizon de quatre ans. Or on parle de plusieurs points d’augmentation. Le choc, qui serait facilement absorbé en période de croissance dynamique, pourrait être rude dans le contexte actuel.
Dans ces conditions la meilleure stratégie est sans doute de fixer des objectifs ambitieux, mais pour une date suffisamment éloignée, et de piloter en souplesse la transition vers le nouvel équilibre. Il serait temps aussi de se rappeler que l’augmentation des ratios de capital des banques n’est qu’un des moyens de rendre le système financier plus solide. Parce que l’instrument est disponible c’est sur celui-là qu’on s’est focalisé, surtout en Europe, mais d’autres stratégies sont possibles comme, par exemple, une surveillance plus étroite des développements du crédit ou une compartimentalisation des métiers de la finance, à l’image de la « règle Volcker » adoptée par l’administration Obama.
A voir quel est l’impact économique des crises financières, on est tenté de penser que tout vaut mieux plutôt que de continuer à courir le risque de leur récurrence. Cela ne dispense pourtant pas de chercher à minimiser le coût de l’assurance contre les cataclysmes.
A version of this op-ed was published by Le Monde.