Finances publiques: Le vrai débat
Depuis trente ans, la France n'a pas su gérer ses finances publiques. Le ratio de dette n'a presque jamais cessé d'augmenter, la politique budgétaire a souvent été à contretemps de la stabilisation conjoncturelle et le pays a gaspillé sa crédibilité vis-à -vis de ses partenaires à force d'engagements non tenus.
L'échéance cependant est venue et la prochaine élection présidentielle sera dominée par la question budgétaire. Pour deux raisons, interne et externe. La première est que, pour reprendre la maîtrise de ses finances publiques, la France va devoir dès la prochaine mandature procéder à un ajustement sans précédent de l'ordre de 4 points de PIB (80 milliards). La deuxième est qu'à la demande des pays créanciers, qui ne veulent plus tolérer les déficits permanents de leurs partenaires, la surveillance budgétaire européenne va être bien plus prégnante.
Cette double contrainte s'imposera à tous les candidats. Ceux-ci n'auront pas vraiment le choix de l'objectif, seulement ceux du rythme et des moyens. Il est donc souhaitable que le débat électoral porte sur la stratégie de redressement, c'est-à -dire sur l'équilibre entre ajustement par les recettes et/ou par les dépenses, et surtout sur la nature des mesures de recettes et de dépenses.
Il est donc temps de changer de méthode : de distinguer ce qui relève des disciplines inévitables et ce qui ressort du choix politique ; de mettre la politique budgétaire en état de servir les objectifs économiques ; et de regagner une crédibilité perdue.
Le projet de réforme présenté par le gouvernement vise à inscrire les décisions budgétaires annuelles dans des lois-cadres fixant des orientations pluriannuelles pour les finances publiques. Le contenu des lois-cadres, la période qu'elles couvrent et la manière dont leurs dispositions s'imposent aux lois de Finances devraient faire l'objet d'une loi organique.
Ce projet offre l'occasion d'une réflexion trop longtemps retardée sur une définition nationale de la responsabilité budgétaire. Certes, le moment choisi, à l'approche d'une échéance nationale, n'est pas le meilleur. Mais la question ne va pas disparaître avec l'élection et il serait dommage que le débat de fond soit occulté par les préoccupations tactiques.
Inspiré du rapport Camdessus, le projet corrige plusieurs défauts des pratiques budgétaires passées, mais doit être amendé sur plusieurs points.
En premier lieu, il ne fixe pas l'horizon auquel une situation financière stable doit être atteinte. Le risque est que cela aboutisse à un déficit contrôlé a minima et à une dette publique maintenue à un niveau durablement élevée. Au-delà des cycles politiques, la France devrait se doter d'un objectif de dette publique à un horizon de vingt ans, suffisamment éloigné pour ne pas pénaliser la croissance le temps de l'ajustement.
En second lieu, il faut préciser l'horizon temporel de la programmation pluriannuelle qui, dans le projet de loi, est laissé dans le flou. Le rapport parlementaire publié le 15 avril suggère un cadre de trois ans. La programmation devrait plutôt être calée sur le mandat législatif et présidentiel de cinq ans. La loi de programmation votée en début de législature déterminerait ainsi les grands paramètres de la politique budgétaire et fiscale sur la mandature. Cela faciliterait l'évaluation par les citoyens de l'action budgétaire de chaque président.
Se pose en troisième lieu la question de la correction des écarts passés. Dérapages et bonnes surprises peuvent conduire sur cinq ans à des écarts de trajectoire considérables. Il est donc indispensable d'instituer un compte de contrôle afin qu'au-delà d'un certain seuil les écarts en exécution soient rattrapés au cours des années ultérieures. Une telle procédure offrirait de la flexibilité par rapport au cycle, mais éviterait les dérapages persistants.
Enfin, la réforme devrait s'accompagner de la mise en place d'un Conseil des finances publiques indépendant chargé non de prendre des décisions, mais de fixer des hypothèses économiques, d'effectuer des projections budgétaires et de procéder à des évaluations. Cela garantirait la sincérité des prévisions et évaluations ; permettrait d'alimenter le débat public en évaluations impartiales ; et assurerait la cohérence entre décisions annuelles et objectif de long terme.
Il est temps de repenser le cadre de notre politique budgétaire : c'est la clef pour retrouver l'indépendance économique nécessaire pour faire de vrais choix politiques.