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Compétitivité : les trois débats

Un seul suffirait au malheur du gouvernement. Mais sur la compétitivité, trois débats s’enchevêtrent : ils portent sur l’urgence d’une réponse&nb

Publishing date
12 November 2012

Un seul suffirait au malheur du gouvernement. Mais sur la compétitivité, trois débats s’enchevêtrent : ils portent sur l’urgence d’une réponse ; sur la nature du mal ; et sur les solutions.

Le premier est simple à trancher. En août 2012 le déficit extérieur cumulé sur un an était de 41 milliards ; en 2007 il était de 12 milliards ; et en 2002, il s’agissait d’un excédent de 22 milliards. Il y a dix ans la France comptait 130.000 entreprises exportatrices et sa part dans les exportations de l’OCDE était de 8% ; les chiffres aujourd’hui sont de 117.000 et 6%. La France a mal géré le double choc de l’euro et de la mondialisation. Elle n’a pas truqué ses comptes, ne s’est pas adonnée à l’ivresse de la spéculation immobilière, mais elle a laissé ses industries exportatrices s’étioler année après année.

Certains plaident pour retarder le remède : avec une croissance à l’arrêt il faut, disent-ils, soutenir la demande, pas affaiblir le pourvoir d’achat au nom du redressement productif. Il est vrai que les politiques de compétitivité commencent le plus souvent par peser sur la croissance. Mais sans action décisive sur l’offre, une France prise en tenaille entre une Europe du Nord performante et une Europe du Sud qui se réforme rejoindrait vite les rangs déjà serrés des malades de l’Europe.

Le deuxième débat, entre tenants des coûts et avocats de la qualité, ne résiste pas à l’analyse. Le prix est toujours ce qui reste lorsqu’on ne parvient pas à s’imposer par la qualité. Le luxe français peut pratiquer des prix astronomiques, parce que le consommateur achète la marque. Mais la plupart des modèles produits par les constructeurs automobiles ressemblent trop à ceux de leurs concurrents pour qu’on accepte de les payer plus cher. Trop de nos entreprises sont enfermées dans un cercle vicieux : face aux producteurs allemands, elles se situent systématiquement sur un segment de qualité et de prix inférieur, et se font tailler des croupières par les concurrents des pays à bas coûts ; pour vendre, elles compriment leurs marges, et pour cette raison manquent de ressources pour innover et améliorer leurs produits. Les plus affaiblies font retraite des marchés extérieurs. 

Une telle dynamique n’est pas nécessairement irréversible : il y a dix ans l’industrie allemande vendait trop cher, le pays était en déficit extérieur. Elle a coupé dans ses coûts, a délocalisé une partie des segments de production, investi dans l’innovation, et fait son grand retour. Baisser les coûts n’est pas une fin en soi, mais cela fournit la bouffée d’oxygène qui permet de vendre et donne les moyens d’engager une montée en gamme.

Que faut-il faire alors ? C’est le troisième débat. Le « choc d’offre Â» tant débattu est ce que les économistes appellent une dévaluation fiscale. Il s’agirait d’abaisser les cotisations assises sur les salaires et d’augmenter en contrepartie la CSG, dont l’assiette est plus large. Remplacer trois points de cotisations sociales par deux points de CSG abaisserait d’un point le coût du travail. Opérée d’un coup, ou répétée sur plusieurs années cette bascule permettrait d’améliorer substantiellement la compétitivité et d’engager une dynamique désinflationniste. On pourrait éventuellement de faire plus en ciblant les allégements sur les salaires des ouvriers de l’industrie.

Une hausse de la CSG pèserait cependant lourdement sur les revenus du capital, qui ont déjà été fortement mis à contribution par le budget 2013, et sur le revenu des retraités, qui ne vont pas tarder à être sollicités pour le financement de la dépendance. Le gouvernement va par ailleurs devoir s’attaquer à une nouvelle réforme des retraites et se voit mal engager deux grandes batailles sur le même front. La matière fiscale n’est pas extensible à l’infini et pour cette raison le « choc d’offre Â» fiscal risque d’être sensiblement inférieur à ce qu’imaginaient ses avocats.

La réponse au problème de la compétitivité prix ne peut donc pas relever exclusivement, ni même principalement d’une dévaluation fiscale. A court terme l’instrument peut, et doit donner un signal, mais le relai devra rapidement être pris par des mesures plus structurelles. La compétitivité-prix de l’industrie et des autres secteurs exposés à la compétition internationale ne se joue pas sur le seul coût du travail. Elle dépend aussi du coût des services et de celui du foncier : les rentes qui prospèrent dans les secteurs insuffisamment concurrentiels sont, directement ou indirectement, autant de prélèvements sur les secteurs exposés. Les réduire devrait être une priorité pour un gouvernement attaché au redressement de la production. De la même manière, il faut s’attacher à stimuler les gains de productivité en permettant aux entreprises les plus efficaces de grandir et de gagner des parts de marché. Des pratiques anticoncurrentielles aux seuils sociaux, la liste est longue des entraves que nous mettons à la croissance de nos champions potentiels. Il est temps de s’y attaquer.

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About the authors

  • Jean Pisani-Ferry

    Jean Pisani-Ferry is a Senior Fellow at Bruegel, the European think tank, and a Non-Resident Senior Fellow at the Peterson Institute (Washington DC). He is also a professor of economics with Sciences Po (Paris).

    He sits on the supervisory board of the French Caisse des Dépôts and serves as non-executive chair of I4CE, the French institute for climate economics.

    Pisani-Ferry served from 2013 to 2016 as Commissioner-General of France Stratégie, the ideas lab of the French government. In 2017, he contributed to Emmanuel Macron’s presidential bid as the Director of programme and ideas of his campaign. He was from 2005 to 2013 the Founding Director of Bruegel, the Brussels-based economic think tank that he had contributed to create. Beforehand, he was Executive President of the French PM’s Council of Economic Analysis (2001-2002), Senior Economic Adviser to the French Minister of Finance (1997-2000), and Director of CEPII, the French institute for international economics (1992-1997).

    Pisani-Ferry has taught at University Paris-Dauphine, École Polytechnique, École Centrale and the Free University of Brussels. His publications include numerous books and articles on economic policy and European policy issues. He has also been an active contributor to public debates with regular columns in Le Monde and for Project Syndicate.

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