Comment discipliner les finances publiques ?
Un débat s’est ouvert sur les leçons à tirer des crises de dette au sein de la zone euro. Pour certains, l’affaire est entendue : il faut renforcer les sanctions, et les rendre automatiques. Pourtant l’échec du Pacte de stabilité n’est pas seulement celui des procédures et sanctions européennes. C’est d’abord le résultat d’un défaut de conception et d’un manque d’appropriation des disciplines européennes par la plupart des États. Le Pacte n’aura représenté qu’un garde-fou, une barrière européenne de plus, négligée par la plupart. Beaucoup d’États se sont achetés un certificat a minima de santé de leurs finances publiques, mais ne se sont pas saisis du Pacte pour assurer la viabilité de long terme de leurs finances publiques.
La donne a cependant changé. D’abord parce que le défaut de paiement d’un État souverain ne relève plus du fantasme mais du calcul des risques. Ensuite parce que les marchés obligataires vont désormais prendre en compte ce risque et obliger les États suspects de le courir à emprunter sensiblement plus cher. Enfin parce que les règles et procédures européennes sont en cours de révision. Dans ce cadre, trois nouveautés devraient changer l’approche des finances publiques. Tout d’abord le cadre d’analyse a été révisé et étendu, notamment pour prendre en compte les risques que fait peser l’endettement implicite ou contingent des États (retraites, garanties bancaires, etc.). Ensuite, la procédure du « semestre européen » va soumettre plus systématiquement et plus précocement les lois de finances de chaque État à l’appréciation des partenaires européens. Comme les États ont appris ce que peuvent leur coûter les déboires de partenaires imprudents, cet exercice va certainement donner lieu des pressions des pairs plus marquées que cela n’a été le cas au cours de la dernière décennie. Enfin, une directive européenne va demander à chaque pays de mettre en place une règle budgétaire interne qui sera la garantie de l’engagement individuel des États à assurer le redressement et la pérennité de leurs comptes publics.
Le débat promet d’être vif. Il a déjà commencé en France, où le principe d’une règle budgétaire va à l’encontre d’une forte tradition discrétionnaire. L’idée de soumettre les choix budgétaires à un impératif de nature constitutionnel ou organique, qui plus est sous la surveillance d’experts, évoque le gouvernement des juges. Mieux vaut pourtant que la France se dote de ses propres principes de responsabilité budgétaire et des moyens de l’assurer, plutôt que de devoir se soumettre aux impératifs communautaires ou, plus encore, de se voir dicter ses choix par la suspicion des marchés obligataires.
Le gouvernement a déposé en mars 2011 un projet de loi en vue d’une réforme comportant un volet constitutionnel et un volet organique. Il prévoit d’inscrire dans la Constitution le principe du monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements fiscaux et sociaux et l’architecture de la programmation financière en indiquant que « les lois-cadres d’équilibre des finances publiques déterminent les normes d’évolution et les orientations pluriannuelles des finances publiques ». Le contenu des lois-cadres, la période minimale qu’elles couvrent et la manière dont leurs dispositions s’imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale devrait faire l’objet d’une loi organique.
L’inspiration générale du projet de loi constitutionnelle soulève des doutes en Europe. Rendus suspicieux par l’expérience passée des engagements français non tenus, beaucoup y voient une architecture de procédures sans contenu substantiel. Ils préféreraient une règle à l’allemande, qui fixe une norme de solde budgétaire. Le principe d’une loi réflexive, qui laisse la liberté de choix au législateur mais lui impose une cohérence temporelle, nous paraît au contraire bon. Il nous semble cependant que l’efficacité du dispositif devrait être renforcée sur trois points.
En premier lieu, il faut préciser l’horizon temporel de la programmation pluriannuelle qui, dans le projet de loi, est laissé dans le flou. Or pour asseoir la règle, pour ancrer l’engagement des gouvernements, il faut la caler sur le cycle politique, c’est-à -dire sur le mandat législatif et présidentiel. Nous ne pensons pas que l’horizon du cycle économique soit meilleur, car il est difficile de le préciser et l’expérience anglaise montre qu’il ne suffit pas à prévenir des dérapages importants (en partie parce que les indicateurs de position dans le cycle sont imprécis). Sauf exception, la loi de programmation votée en début de législature devrait donc déterminer les grands paramètres de la politique budgétaire et fiscale pour une période de cinq ans. Cela facilitera aussi l’évaluation de l’action budgétaire de chaque gouvernement.
Se pose en deuxième lieu la question de la correction des écarts passés. Le résultat des dérapages ou au contraire des bonnes surprises au cours de la période de programmation, peut conduire sur cinq ans à des écarts de trajectoire considérables. L’absence d’un mécanisme de correction peut aussi favoriser une gestion peu sincère des comptes, qui consisterait à se fixer des objectifs ambitieux puis à relâcher les contraintes en exécution. Il nous semble donc indispensable d’instituer un compte notionnel de contrôle tel que celui qui a été créé par la réforme allemande, afin qu’au-delà d’un certain seuil les écarts en exécution doivent être rattrapés au cours des années ultérieures. À l’inverse, les excédents « surprise » alimenteraient le compte de contrôle, ce qui éviterait tout débat sur la cagnotte, qui n’a lieu d’être dans une période d’ajustement budgétaire. Une telle procédure offrirait de la flexibilité par rapport au cycle, mais éviterait les dérapages persistants.
En troisième lieu, la mise en place de la règle envisagée devrait s’accompagner de la mise en place d’un comité d’évaluation budgétaire indépendant chargé non de prendre de décision mais de fixer des hypothèses économiques, d’effectuer des projections budgétaires et procéder à des évaluations. Cette discipline procédurale stricte serait destinée à éviter que prévisions et évaluations soient entachées d’un biais. Elle permettrait aussi de mettre sur le débat public une véritable évaluation chiffrée de toute nouvelle mesure non seulement sur la période en cours, mais aussi des impacts sur les périodes à venir. Ici encore, la question est évoquée par le rapport Camdessus, mais la proposition n’est pas formulée dans le projet de loi. Nous proposons donc la création d’un Conseil des finances publiques indépendant.
En conclusion, il nous semble que face aux enjeux, communs à tous les pays européens, la réforme des finances publiques en France, axée sur la règle budgétaire mériterait d’être détaillée et complétée. Sur plusieurs points il faut aller au-delà du projet de révision constitutionnelle et la mise en place d’un Conseil des finances publiques indépendant doit accompagner la réforme. La qualité et la crédibilité de cette réforme sont en effet cruciales pour l’environnement de la croissance, les marges de manœuvre de l’action publique et la capacité des gouvernements à venir à atteindre leurs objectifs économiques et sociaux.
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